Cher membres du Conseil communal de Valtournenche,
En tant que membres d’associations culturelles valdôtaines, nous vous écrivons pour vous faire part de notre inquiétude quant à la demande d’officialisation du toponyme « Breuil-Cervinia » que vous vous apprêtez à considérer lors de votre prochain Conseil communal, ce qui entraînerait la disparition du nom du village « Le Breuil ».
Le droit international nous impose de veiller à la sauvegarde des noms des lieux existants. En effet, la toponymie, qui est une compétence exclusive de la Région Autonome de la Vallée d’Aoste en vertu du Statut spécial de 1948, est un patrimoine culturel immatériel, tel que défini par la Convention pour la Sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO de 2003 et par la résolution IX/4 de la Conférence des Nations Unies sur la normalisation des noms géographiques. L’article 11 de la Convention requiert de « prendre les mesures nécessaires pour assurer la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel » présent sur notre territoire.
D'un point de vue légal, « Breuil-Cervinia » n’existe pas. Vos prédécesseurs au Conseil Communal, dont certains sont peut-être vos ancêtres, ont fait le choix le 25 août 1947 de redonner au village du Breuil son nom d’origine, en éliminant le « nom italianisé » Cervinia à cette occasion. « Breuil-Cervinia » a toujours servi de convention, sans jamais avoir été approuvée par les autorités compétentes. Ainsi, de 1947 à 2023, le nom du village a toujours été « Breuil » ; puis, de septembre 2023 à nos jours, le nom officiel est devenu « Le Breuil » après un long processus démocratique et d’expertise qui a vu votre participation et le vote unanime du Conseil communal approuvant ce nom.
Nous n’avons rien contre le nom commercial de la station de ski « Cervinia » ; au contraire, il devrait, selon nous, continuer à coexister avec le nom du village du Breuil. Il a été suggéré que l’utilisation de deux noms affaiblirait le « prestige » du domaine. Cela n’a non seulement pas été démontré, mais a été réfuté par le succès commercial de vos voisins à Zermatt, qui partagent leur succès avec le « Matterhorn Ski Paradise » pour désigner leur domaine skiable, ou encore par Sauze d’Oulx au Piémont, qui a conservé le nom imposé par le fascisme de « Sportinia » pour son domaine skiable. D’autres défis plus importants que le nom du village menacent le domaine, tels que le changement climatique qui fait croître les prix, ou encore le manque de protection de la « marque » Cervinia que vous chérissez tant. C’est sur ces thèmes qu’il faut travailler, au lieu de succomber à du révisionnisme historique et à des pressions infondées, souvent imbibées de pulsions identitaires exprimées par des personnes étrangères à l’histoire et à la culture de la Vallée d’Aoste.
Nous espérons pouvoir bientôt organiser des rencontres avec les résidents de Valtournenche afin de discuter des origines et des enjeux de la question, et serions ravis de vous rencontrer pour trouver une solution qui mette tout le monde d’accord, permettant au village du Breuil de conserver son nom et au domaine skiable de Cervinia de garder le sien. Pour le moment, nous vous demandons de conserver le nom du Breuil tel quel, ou au moins de vous donner davantage de temps pour trouver un consensus sur la question.
Dans l’attente de vos délibérations sur la question, veuillez agréer, Mesdames et Messieurs les Conseillers et membres du Conseil Communal, nos respects les plus dévoués.
Cordialement,
Association Nos Accents
Comité des Traditions Valdôtaines
A.N.P.I. Valle d’Aosta
À cette lettre se joignent également :
François STÉVENIN, Comité de direction de l’UPF VdA, ancien Président du Conseil Régional
Daniel FUSINAZ, expert en langue francoprovençale.