La parole de Dieu de ce dimanche met en scène deux attitudes opposées : l'autolâtrie du pharisien et l'humilité du publicain. L'autolâtrie est un culte excessif de soi, un égocentrisme poussé à outrance jusqu'à l'oubli de Dieu et au mépris du prochain.
Le message de Jésus dans cet épisode nous invite à nous interroger sur la vérité de notre être chrétien. Est-ce que nous ne réduisons pas la vie religieuse à un système de rites, de slogans répétés machinalement, en croyant que nous prions ? Est-ce que la foi n'est pas évincée par l'activisme qui met au centre l'activiste ?
Cette religion autolâtrique a une fonction simplement psycho-sociologique, qui vise tout simplement "la revendication de la satisfaction personnelle", selon Dietrich Bonhoeffer. La religion libérante, charismatique, pneumatique, par contre, n'est pas dualiste : elle intègre le riche et le pauvre, le saint et le pécheur qui pleurent tous leur péchés et sont confiants de la miséricorde de Dieu.
1. LA RELIGION DU COEUR CONTRE L'AUTOSUFFISANCE
La parabole du pharisien et du publicain met en examen la qualité de nos prières. Le pharisien et le publicain appartiennent au peuple de l'alliance, prient le même Dieu et dans le même temple. Toutefois, les intentions du cœur ne sont pas les mêmes, si bien que la conclusion de la parabole renverse la situation : le publicain est pardonné, mais le pharisien est renvoyé les mains vides, à cause de son arrogance.
Sa prière est auto-référentielle, autolâtrique. Il parle de lui-même, de ses exploits, en critiquant les autres, en particulier le publicain. Il dit : "Je ne suis pas comme les autres. Je jeûne, je prie et je donne l'aumône."
Avec ces paroles, le pharisien répond bien aux exigences de la société, comme l'attention aux pauvres, mais pour son autosatisfaction liée à son autosuffisance. En effet, une prière faite avec humilité, en rendant compte au Seigneur de son vécu quotidien, n'est pas un péché.
Dans la seconde lecture, saint Paul présente aussi un rapport synthétique de son ministère, dans l'attente de recevoir la couronne de gloire. Saint Augustin s'interroge : "Si quelqu'un veut présenter ses mérites devant toi, Seigneur, qu'est-ce qu'il présente de particulier, sinon que tes dons ?" (Conf. IX,13,34).
Le grand péché du pharisien est son mépris envers le publicain. Il usurpe le droit qui appartient au Seigneur, qui nous juge avec miséricorde. Le pharisien dit : "Je ne suis pas comme cet homme." Autrement dit, le ciel est mon droit. Pour lui, la grâce est inférieure par rapport à ses actes méritoires.
Le publicain, quant à lui, prie : "Deus, propitius esto mihi peccatori" (Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis). Le publicain, sur le plan matériel, est riche, mais sur l'aspect spirituel, est un misérable qui élève son cri vers le Seigneur pour qu'il soit délivré. La première lecture dit que la prière du pauvre arrive directement au ciel.
Les grands saints sont les personnes qui pleurent leurs péchés et qui mettent au centre de leur vie la gratuité de la grâce sanctifiante. Saint Philippe Néri répondait à ceux qui lui faisaient des éloges : "Va-t'en ; je suis un démon, pas un saint." Saint Pierre, après la pêche miraculeuse, s'écrie : "Éloigne-toi de moi qui suis pécheur" (Lc 5,8).
2. LA CONFESSION N'EST PAS LA COMPLAISANCE
Un homme qui ne confesse pas ses péchés devient progressivement un idolâtre, comme le pharisien. Tous, nous avons besoin du pardon de Dieu. Qui se dit sans péché est un menteur.
L'abaissement est la voie de la sainteté. Jésus le dit à maintes reprises : "Qui s'élève sera abaissé et qui s'abaisse sera élevé" (Mt 23,12). Nous n'avons aucune raison de nous gonfler d'orgueil, car, comme le remarque saint Paul : "Dieu nous a sauvés non à cause des œuvres de justice que nous avions pu accomplir mais poussé par sa seule miséricorde" (Rm 3,23).
La grande erreur du pharisaïsme de type pélagien est de croire que l'homme peut se sauver sans l'intervention de Dieu par une vie moralement réglée.
Souvent, nous sommes comme le publicain en dehors du temple et comme le pharisien dans le temple. Nous sommes des pécheurs qualifiés hors de l'Église et des saints autoproclamés dans l'Église. Une religion, un état de vie qui laisserait l'homme satisfait de lui-même sans inquiétude, cette religion ou cette morale déontologique serait fallacieuse et hypocrite.
L'Évangile nous enseigne la religion du cœur, qui révèle à l'homme sa condition de misère, contre la religion de l'extériorité. Pourquoi la prière du pharisien est-elle condamnée malgré ses bonnes œuvres et celle du publicain exaucée, peu importe ses péchés ?
L'erreur du pharisien est qu'il se regardait avec complaisance. Il ne se confesse pas, mais fait sa propre canonisation.
Le chrétien, par vocation et non par convention, est une personne au cœur brisé et broyé. Il est comme le publicain qui se reconnaît indigne de s'approcher devant le buisson ardent de l'autel eucharistique.
3. LE RISQUE DU PHARISAISME DANS NOS LITURGIES
De nos jours, nous constatons que tant de chrétiens se débarrassent de l'intériorité qui inquiète, pour se réfugier dans l'extériorité cultuelle.
Dans certaines Églises, sous l'effet d'une inculturation mal fammée et édulcorée, la prière est devenue une forme d'évasion dans le folklore, qui nous fait oublier l'essentiel : le mystère eucharistique qui nous interpelle et nous rassemble pour former un seul corps et un seul esprit dans le Christ.
Après le culte, certains chrétiens disent : "C'était une messe bien animée ; on a chanté, on a dansé, le curé nous a fait une homélie divertissante qui nous faisait rire." Mais, si on pose la question sur la parole de Dieu, la réponse est : "Je ne m'en souviens plus, car l'homélie était longue." L'Église, dans cette perspective, perd son caractère sacré, où on devrait y entrer "avec crainte et tremblement".
La religion du pharisien est ce soin de l'apparence qui ne libère pas l'homme de ses chaînes intérieures. Le pharisien se sert de Dieu pour sa propre gloire. Il parle trop de Dieu sans vivre avec Dieu.
L'essentiel de la religion du publicain, par contre, est la foi en Dieu miséricordieux, qui écoute le cri de ses enfants.
Saint Paul, dans son humilité, reconnaît qu'il est pécheur pardonné en confessant que "le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs, dont je suis, moi, le premier" (Tt 1,16).
4. PRIÈRE DE SAINT AUGUSTIN SUR LA MISÈRE HUMAINE
Seigneur, prends pitié de moi. Hélas ! Tu vois mes blessures, je ne te les cache pas.
Tu es médecin, je suis le malade.
Tu es miséricordieux, je suis misérable. La vie de l'homme sur terre est vraiment une épreuve.
Qui pourrait désirer des peines et des tracas ?
Tu ordonnes de les supporter, non de les aimer.
Dans l'adversité, j'aspire au bonheur ; dans le bonheur, je redoute l'adversité. Entre ces extrêmes, existe-t-il un point d'équilibre où la vie humaine ne soit pas une épreuve ?
Seigneur, toute mon espérance ne réside que dans la profondeur de ta miséricorde (Conf. X,28,39).
"Que soit faite, que soit louée, et suprêmement exaltée éternellement en toutes choses la très sainte, la très aimable volonté de Dieu", Amen ! (John Henry Newman).
Bon dimanche, frères et sœurs. Paix et joie dans nos cœurs et dans le monde.
Ton frère,
Abbé Ferdinand Nindorera









