L'Évangile de ce dimanche répond à la grande question gravée dans le coeur de tout homme et qui affecte tout l'homme. Le problème du sens de la vie et les choix quotidiens pour y répondre fondent l'essence de notre être au monde. Cette question inclut aussi le sens du temps pour l'éternité bienheureuse ou pour les tourments sans fin selon l'option fondamentale opérée pendant ce temps présent qui passe.
1. L'ÉTERNITÉ EST PRÉPARÉE DANS LE TEMPS PRÉSENT.
La première lecture du livre d'Amos condamne sévèrement les riches qui n'ont d'autres soucis que le soin de leur bien-être terrestre, alors que nous sommes situés entre l'immanence et la transcendance, entre le temps qui passe et le ciel sans nuages qui demeure. Ils suivent le principe épicurien de la jouissance sans limite des plaisirs charnels en oubliant que l'homme est transition et aspiration.
Ce qui nous touche en lisant avec attention la première lecture et l'Évangile de Luc de ce dimanche, est l'avertissement à notre conscience morale de l'urgence de la préparation de l'éternité dans ce temps présent. À chaque moment de notre vie, nous devons décider de notre existence éternelle en écoutant la voix de Dieu qui retentit dans notre coeur.
Dans la première lecture, le sort de ceux qui ont écrit leur nom sur la terre sera l'exil, et dans l'Évangile, le riche meurt et il est enterré. Il subit des tourments insupportables, tandis que le pauvre Lazare est accueilli par les anges et entre dans le sein d'Abraham. Le sein en grec "kolpon" signifie le menteau, l'intimité. La situation dans l'éternité est renversée. Le riche qui n'a jamais eu de soucis envers le pauvre implore le père de la foi d'envoyer le méprisé de la terre en vue d'apaiser sa soif dans les tourments de l'enfer. Mais la distance qui sépare l'enfer et le ciel est incommensurable. Il faut veiller dans ce temps en mutation dans la charité.
2. L'OPTION FONDAMENTALE POUR LE SALUT OU LA PERTE
Comment vivre cette vie en mutation et quel est le sens de la vie et des choses? Quel est mon rapport avec les richesses matérielles? Comment accueillir la souffrance sans perdre l'espérance? Quelle est mon attitude envers les indigents que je rencontre ou qui attendent devant ma maison?
Jésus y répond par une histoire concrète, toujours d'actualité.
D'une part, il y a un homme sans nom qu'on connaît seulement par son style de vie. C'est un riche, très élégant, qui célébre des fêtes sans se préoccuper de ce qui se passe hors de son palais. Le problème majeur, n'est pas la jouissance, mais l'indifférence.
Jésus en décrivant son comportement, dénonce l'absence d'inquiétude de son coeur. La richesse n'a de sens que si elle est partagée avec les nécessiteux.
D'autre part, il y a un homme qui a un nom mais un déshérité de la terre. C'est le pauvre Lazare. Le nom Lazare en hebreux, signifie celui qui est assisté par Dieu. Ce nom vient deux fois dans les Évangiles. Dans le quatrième Évangile, Lazare est le frère de Marte et Marie qui bénéficie de la grâce en sortant vivant du tombeau par la parole performative de Jésus. Aujourd'hui, Jésus nous présente un autre Lazare mendiant chez un riche. Au lieu de recevoir ne fût ce que des miettes qui tombent de sa table, il est accueilli par ses chiens qui lèchent ses plaies devant le palais.
Dans ce temps présent, combien de riches qui jettent dans des poubelles ce qui pourrait rassasier des milliers de Lazare qui croupissent dans la misère? "Un pain jeté est un pain volé au pauvre", comme le dit le Pape François.
Les richesses vécues dans la liberté et dans la charité deviennent des instruments pour notre salut. Si elles sont idolâtrées jusqu'à l'oubli de Dieu, elles ne nous épargnent pas du malheur. Selon saint Augustin, le riche a investi dans le non-être (habet non habere). La grande erreur de l'homme riche sans nom ne se situe pas en effet au niveau de son avoir, mais au niveau de l'être en rapport avec l'avoir. Il a investi dans l'éphémère, dans le provisoire en ignorant sa condition de mortalité.
3. VIVRE DANS L'ATTENTE ET DANS L'ATTENTION
Le temps nous juge d'une manière inéxorable et définitive. Oui, qui a voulu le néant l'obtiendra par justice. Qui a investi sa vie pour la béatitude l'aura par grâce.
Le pauvre meurt très tôt à cause du manque de substances pour entretenir son corps. L'ironie du sort est que le riche meurt aussi, laissant aux autres sa fortune, car "aux enfers on n'en porte rien".
Sûrement qu'il était enterré dans un cercueil luxueux qui pourtant ne le protège pas de la putréfaction, pire encore des tourments de l'enfer éternel. Le pauvre Lazare est accueilli dans le sein de Abraham, il est ambrassé par l'amour de Dieu. La grande question qui interesse notre sort peut se poser en ces termes: le pauvre est-il récompensé par sa pauvreté? Autrement dit, tous les pauvres seraient dans la joie éternelle et les riches dans la souffrance? N'y a-t-il pas des pauvres qui vivent dans la haine, dans l'égoïsme et dans l'envie?
Le problème qu'il faut résoudre dans le présent, consiste à choisir entre vivre loin de Dieu et contre Dieu ou vivre dans l'oubli de soi pour vivre en communion avec Dieu. Soyons conscients que notre vie qui advient dans le temps est inserré dans le devenir qui ne cesse pas de nous surprendre. Les lectures de ce dimanche nous invitent à relativiser ce qui nous arrive voulu ou non voulu, le meilleur ou le pire, le bonheur ou le malheur, car notre âme toujours inquiète et sans repos vit dans la tension vers l'ultérieur. Nous savons ce que nous avons été, nous ignorons le jour et l'heure de notre mort.
Soyons attentifs au temps présent qui determinera notre sort futur. Dieu nous parle chaque jour même si nous avons l'impression qu'il est loin. Il nous parle dans les saintes Écritures. Nous avons Moïse et les prophètes. Soyons constamment à leur écoute. Il nous parle par son Fils dans les sacrements. Il est présent dans la beauté de la nature. Il nous parle dans les événements de notre histoire. Dieu est présent, seulement nous sommes distraits. Soyons attentifs. Il est là au coeur de nos vies. La sagesse dans la gestion des choses qui constituent "le sous-main" de notre existence en mutation, -la vie quotidienne dans la juste mesure-, est la vertu de la tempérance. Cette vertu nous libère de toute forme d'esclavage dans cette tension qui transcende le temps et l'espace.
La justice nous libère de l'égoïsme, la prudence nous dégonfle de l'orgueil et la charité nous ouvre les portes du ciel. Oh puissants de la terre, "memento mori". Faites attentions aux milliers de Lazare qui croupissent devant vos portes. Ne leur envoyez pas de chiens méchants pour lécher leur plaies, mais des serviteurs pour panser à leur blessure.
4. PRIÈRE DE JOHN HENRY NEWMAN POUR UNE MORT HEUREUSE
Oh mon Dieu et Sauveur, soutiens-moi en cette heure dans les bras ouverts et forts de tes sacrements et dans la fraîche fragrance de tes consolations.
Fais que sur moi soient prononcées les paroles d'absolution et que je reçoive l'onction du saint huile.
Que ton corps me nourrisse et que je sois aspergé par ton sang.
Fais que ma douce mère, Marie, s'incline sur moi, que mon ange gardien chuchotte dans mon oreille les paroles de paix et que mes saints glorieux me sourrient; qu'en eux et à travers eux je reçoive le don de la persévérance et mourir dans la foi, dans ton église, à ton service et dans ton amour, Amen.
Bon dimanche frères et soeurs.
Paix et joie dans nos coeurs et dans le monde.
Abbé Ferdinand Nindorera.