En ce second dimanche de carême, la première lecture nous présente une situation dramatique, émouvante, qui en même temps fascine et fait peur. Il s'agit du sacrifice de notre père dans la foi, Abraham. Il offre en sacrifice sans condition son fils bien-aimé, Isaac. Notre méditation sera focalisée sur cet épisode, sans pour autant délaisser l'évangile sur la transfiguration de Jésus.
Qui est Isaac en moi que j'aime et que le Seigneur me demande d'offrir en sacrifice?
1. LE SACRIFICE D'ABRAHAM.
Dieu appelle par son nom Abraham qui, en reconnaissant la voix, répond sans détour: Me voici! Il n'est pas assez aisé de reconnaître la voix de Dieu dans la multiplicité des voix du monde. Abraham représente l'homme du discernement, l'homme en attente qui fait attention pour percevoir les traces de Dieu qui passe. Quel est le contenu du message? Humainement parlant, ce n'est pas une bonne nouvelle. Dieu met à l'épreuve Abraham. Pour Abraham, il était facile de quitter son pays d'origine où il jouissait de la sécurité familiale, économique et sociale, pour devenir étranger dans un autre pays. Cette fois-ci, Dieu demande ce qui est humainement impossible, l'ordre de sacrifier un fils unique. Ce qui a toujours caractérisé Abraham est l'obéissance sans condition à Dieu.
Devant cette situation, Abraham est prêt à sacrifier Isaac. Arrivé sur la montagne de l'holocauste, "le fou de Dieu" bâtit l'autel, disposa du bois, lia son Fils et le mit sur l'autel, par-dessus le bois, saisit le couteau pour immoler son fils".
La parole "ligature" en hébreux "Aqēdah" signifie la façon de lier l'agneau à sacrifier. Le verbe "religare" signifie lier de nouveau. Abraham est lié avant tout à Dieu avant de lier sur le bois son fils, ce qui anticipe déjà la ligature du fils de Dieu sur le bois de la croix, non avec la corde, mais avec des clous. Pourquoi cette obéissance sans condition aux exigences de Dieu?
Ce sacrifice d'Abraham est avant tout un acte d'amour et de liberté. Qui aime Dieu d'un coeur sans partage offre à lui ce qu'il a de précieux et d'unique.
Abraham exprime ses dispositions intérieures du don de soi, d'amour total. Pour lui, Dieu seul suffit. Abraham nous aide à mettre notre espoir dans le Seigneur avec les paroles de saint Paul de la deuxième lecture: "Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous. Il n'a pas épargné son propre Fils, mais il l'a livré pour nous tous: comment pourrait-il, avec lui, ne pas nous donner tout"?
2. LE CRI INTÉRIEUR D'ISAAC RENCONTRE LA VOIX DE DIEU
Selon Kierkegaard, dans son oeuvre "Les étapes de la vie", la foi sans être absurde est paradoxale. Sur le plan moral, on peut dire avec Kant que Abraham a violé la loi morale qui défend la sacralité de la vie. La loi morale au fond du coeur interdit de tuer. Mais, la morale est inférieure à la foi qui est le couronnement de la vie. La foi est considérée selon Kierkegaard comme le saut de qualité, tandis que pour Blaise Pascal, elle est le saut dans le vide. La morale est la transition entre la vie basse du divertissement et la foi totale en Dieu.
Kierkegaard contre le rationalisme de Kant, met en scène l'événement du sacrifice d'Abraham, dans son livre intitulé, "Crainte et tremblement".
Kierkegaard interprète ce que la Bible ne dit pas, c'est-à-dire le dialogue entre Abraham et son fils lors voyage étrange. Isaac obéit au Père, mais ignore son sort. Il sait qu'il va participer au culte religieux du sacrifice, mais l'agneau du sacrifice est absent. Kierkegaard dit que Abraham changeait de visage au fur et à mesure qu'ils s'approchaient de la montagne du sacrifice. Il passait de l'humanité à l'animalité dans la manière de traiter son fils et la peur enveloppait Isaac. Il pose la question à son père: mais où est l'agneau pour l'holocauste? Cette question déchire le coeur d'Abraham qui lui répond: "Dieu pourvoira mon fils".
Après la préparation de l'autel, Kierkegaard traduit la souffrance d'Abraham quand il prend le couteau, en cette profession de foi: "Je préfère paraître un monstre devant toi mon fils, que perdre la foi en Dieu". Le philosophe danois interprète aussi le cri intérieur d'Isaac en cette belle prière: "Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, puisque je n'ai pas de père sur cette terre, sois toi-même mon Père".
En ce moment-même, le cri d'Isaac croise la voix de Dieu qui ne se complaît pas du sang de l'innocent. "Il en coûte au Seigneur de voir mourir les siens"! Par son ange, Dieu dit: "Ne porte pas la main sur le garçon! Ne lui fais aucun mal! Je sais maintenant que tu crains Dieu". Dieu dont les sommets des montagnes sont à lui, disponilisa un bélier pour le sacrifice à la place d'Isaac.
3. CELUI-CI EST MON FILS BIEN-AIMÉ, ÉCOUTEZ-LE.
Lors de la transfiguration, qui est un événement transitoire entre la profession de foi de Pierre et la crucifixion de Jésus, la parole du Père traverse aussi la nuée comme dans l'épisode du sacrifice d'Abraham et se fait entendre: "Celui-ci est mon fils, écoutez-le".
Nous ne pouvons pas séparer donc le sacrifice d'Abraham, la transfiguration et la croix du Fils de Dieu.
Le Christ est le nouvel Isaac qui accepte de suivre le père qui l'offre en sacrifice. Par la miséricorde de Dieu, Isaac est épargné, et remplacé par le bélier. Cependant, dans le sacrifice de la nouvelle Alliance, le Père n'a pas épargné son propre Fils. Le Christ est l'Agneau pascal qui prend sur lui les péchés du monde. Jésus dit à Nicodème: "Dieu a tant aimé le monde qu'il a envoyé son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne se perde pas, mais ait la vie éternelle"(Jn3,16).
L'événement de la transfiguration est inséparable avec la passion du Christ. Le plus beau des enfants de l'homme(Ps44), celui dont les vêtements devinrent resplendissants, d'une blancheur telle que personne sur terre ne peut obtenir, sera sur la croix "l'homme sans apparence, sans beauté ni éclat pour attirer nos regards"(Is53,2-3). Aimer c'est souffrir et mourir pour celui qu'on aime.
4. PRIÈRE DE SUPPLICATION
Seigneur, tu ne peux pas nous mettre à l'épreuve, nous soumettre à la tentation, sans nous donner la force de résister.
Entends la prière silencieuse qui exprime notre douleur et notre angoisse au moment où nous nous détachons de ce que nous avons de plus précieux en nous. Tes exigences Seigneur pour orienter notre vie, sont souvent gênantes car elles destabilisent nos comodités. Donne-nous la foi de comprendre que dans ton dessein d'amour, tout concourt au bien, que le mal n'a pas le dernier mot et que la croix du Christ prépare la gloire de la résurrection. Bénis sois-tu Seigneur, éternellement béni, amen.
Bon dimanche frères et soeurs.
Paix et joie dans nos coeurs et dans le monde.
Ton frère Abbé Ferdinand Nindorera.