Le 23 août 1944, les villages de Trois-Villes furent réduits en cendres par les troupes nazi-fascistes. Ce drame survint après la capture de deux militaires du poste de Nus et le blesser de deux autres, victimes d’une attaque menée par la 13e bande Émile Chanoux. En représailles, les soldats firent feu sur la communauté, incendièrent les maisons, utilisèrent la population civile comme bouclier humain pour effectuer un vaste ratissage. Quatre partisans y laissèrent la vie.
Près de quatre-vingts ans plus tard, cette page sombre de l’histoire valdôtaine continue de résonner. Pour Corrado Jordan, Conseiller régional et Secrétaire du Bureau de Présidence du Conseil de la Vallée d’Aoste, la mémoire n’est pas un simple hommage au passé mais un outil pour le présent et l’avenir.
Corrado Jordan, pourquoi est-il important de rappeler aujourd’hui l’histoire de Trois-Villes ?
La mémoire est une responsabilité collective. Trois-Villes n’est pas seulement un épisode de la guerre, mais le symbole d’une violence qui a frappé des communautés innocentes, des villages entiers. Se souvenir, c’est dire non à l’oubli et refuser l’indifférence. Cela nous oblige à nous demander quel type de société nous voulons construire.
Vous évoquez souvent la Vallée d’Aoste comme une terre de frontière. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
La Vallée d’Aoste a toujours été un lieu de passage, de rencontre, de communication. Les liens entre les communautés se sont forgés grâce à une civilisation commune, à une langue partagée, à une nature semblable. Ici, on se serrait la main avant même l’ouverture des frontières européennes. Cette identité doit rester un pont, pas un mur.
Pourtant, vous mettez en garde contre une nouvelle fermeture…
Oui, parce que l’ouverture est aujourd’hui menacée. La violence, l’intolérance, le manque de respect progressent. L’opinion publique, souvent, observe en silence. Nous risquons de passer de la lumière de l’ouverture au gris de la clôture. C’est une dérive dangereuse qui doit nous alerter.
Quel rôle peut jouer la politique dans cette perspective ?
La politique ne doit jamais chercher son succès dans le populisme ou dans la peur des autres. Ni hier, ni aujourd’hui. La dispute facile, l’instrumentalisation des différences, sont des chemins à courte vue. Le vrai défi, beaucoup plus exigeant, est de partager les idées, de reconnaître la valeur de la diversité. C’est ainsi que l’on construit une société harmonieuse.
Alors, quel message adresseriez-vous aux jeunes générations ?
Je leur dirais : n’ayez pas peur de ce qui est différent. Abattez les murs faits de préjugés et de peur. Cultivez le respect, profitez de la richesse des opinions différentes. Si Trois-Villes est un lieu de mémoire tragique, faisons-en aussi un terrain d’exercice positif de notre mémoire collective, un moment pour réaffirmer les principes qui fondent notre espace européen.
À écouter Corrado Jordan, on comprend que Trois-Villes n’est pas seulement une date gravée dans le marbre des commémorations, mais un miroir tendu à notre présent. Le risque de l’indifférence, l’érosion des valeurs de fraternité, la tentation du repli sur soi : ce sont des menaces qui dépassent les frontières de la Vallée d’Aoste et résonnent dans toute l’Europe.
Dans ses mots, il y a l’avertissement qu’une mémoire stérile n’a pas de sens si elle ne se transforme pas en projet, en vigilance, en engagement civique. Trois-Villes brûlait en 1944 sous les flammes de la barbarie ; il nous appartient aujourd’hui d’éviter que nos sociétés modernes ne s’embrasent à nouveau sous celles, plus sournoises, de la peur et de l’intolérance.






