Les 5 et 6 juin, Aoste accueille une fois de plus une fête qui est bien plus qu’un simple concours : le Concours Cerlogne, du nom de l’abbé qui, au XIXe siècle, osa codifier cette langue que tant d’autres voulaient reléguer au silence. Pour cette 63ème édition, 1337 enfants et 187 enseignants seront au cœur d’un événement à la fois festif, éducatif et identitaire, dédié à la langue francoprovençale, notre patois.
Au-delà des chiffres, ce sont des visages, des voix, des souvenirs d’enfance qui se transmettent. Les enfants montent sur scène, récitent, chantent, jouent. Les enseignants – véritables passeurs de mémoire – ont œuvré tout au long de l’année pour intégrer le patois à leur pédagogie, en collaboration avec les animateurs du BREL et les experts du Centre René Willien.
Cette année, le thème “Habiter et nommer l’espace – Resté é boudzé” a donné lieu à des réflexions sensibles et ancrées sur les lieux de vie, les hameaux, les toponymes et les liens affectifs qui nous unissent à notre territoire.
Et pourtant… malgré cette belle mobilisation, un paradoxe persiste : le travail immense des enseignants s’interrompt brutalement au seuil du collège. Une fois franchie la porte de l’école secondaire, le patois disparaît des emplois du temps. Plus d’ateliers, plus de spectacles, plus d’apprentissage. Comme si la “Petite Patrie” s’arrêtait là, suspendue dans une mémoire que peu d’adolescents savent ou veulent prolonger.
Alors que le Théâtre Splendor s’anime, que les enfants s’émerveillent et que les prix “Ami de Cerlogne” honorent les enseignants les plus fidèles à cette mission, une question plane : que faudrait-il faire pour que cette langue continue à vivre au-delà du cycle primaire ?
Mais ce n’est pas une simple fête folklorique. Ce que ces journées racontent, c’est le dévouement silencieux et continu de centaines d’enseignants – souvent enseignantes – qui, année après année, sèment la graine du patois dans les petites têtes blondes. Leur engagement est parfois un vrai militantisme culturel, discret, patient, enraciné.
C’est à juste titre qu’une reconnaissance leur est accordée : le prix "Ami de Cerlogne", remis à celles et ceux qui participent depuis dix, vingt, voire trente éditions. En 2024, on honore ainsi :
— Pour dix éditions : Barmasse Simona, Borre Ludovica, Cestaro Cristina, Comé Sara, Di Tommaso Camilla, Gasparini Sara, Rigo Fulvia, Spina Stefania Antonietta.
— Pour vingt éditions : Pernel Milva, Rosso Cristina.
Et pourtant, malgré tant d’efforts, un constat s’impose : la Petite Patrie s’arrête souvent en CM2. Le patois, très présent dans le primaire, disparaît dans les collèges et les lycées. Comme si le passage à l’adolescence imposait l’oubli. L’école valorise cette langue… mais l’école l’abandonne ensuite. Sans continuité, la transmission reste fragile.
Cette année, un concert du groupe Patoué eun Mezeucca viendra enrichir le programme du Concours, avec un spectacle intitulé Téritouéo que boudze é reboudze, se trame é tsandze. Preuve que la culture vivante ne demande qu’à vibrer.
Mais pour qu’elle vive vraiment, il faut une politique linguistique ambitieuse, cohérente, transversale. Pas seulement un rendez-vous annuel. Il faut un souffle long, une vision partagée, un avenir à hauteur d’enfant… mais jusqu’à l’âge adulte.
Et si, au lieu de dire “adieu” à la Petite Patrie, on lui ouvrait vraiment les portes de demain ?