Nous en parlons avec son auteur, Joseph Gabriel Rivolin, historien et ancien directeur des Archives historiques régionales, à un moment où la mémoire et l’identité prennent une urgence nouvelle.
Ton livre est un "compendium agile", mais on y sent la densité d’une vie de recherches. Est-ce une forme de restitution ?
« Absolument. C’est un livre pensé pour être accessible, mais il découle d’une expérience longue et stratifiée : mon travail aux Archives historiques régionales, bien sûr, mais aussi des décennies de lectures, de recherches, de découvertes personnelles. Mon désir était de mettre ce patrimoine à la disposition de ceux qui, aujourd’hui, veulent mieux comprendre qui nous sommes et d’où nous venons. »
Alessandro Barbero a écrit que ton livre parvient à garder un ton de vulgarisation sans tomber dans la célébration. Est-il difficile de raconter sa propre terre sans céder à l’emphase ?
« C’est difficile, oui, mais on y parvient si l’on adopte une méthode rigoureuse. Barbero lui-même, en fin de compte, est un maître en la matière : il sait captiver tout en gardant une grande clarté. J’ai moi aussi essayé d’éviter les accents triomphalistes, sans pour autant renoncer à un sentiment d’appartenance. Mon but n’était pas de “défendre” la Vallée, mais de lui rendre sa profondeur historique, sa complexité, sa densité. »
Tu as plusieurs fois souligné ta dette envers les intellectuels valdôtains du passé. Quels noms mettrais-tu symboliquement sur la couverture ?
« La liste est longue, mais je citerais au moins trois figures : Jean-Baptiste de Tillier, le premier véritable historien valdôtain ; Émile Chanoux, qui a pensé l’autonomie comme un projet de civilisation ; et mon maître et ami Lin Colliard, qui a su acheminer notre historiographie sur des rails rigoureusement scientifiques, suivant par ailleurs la leçon de Mgr Aimé.Pierre Frutaz. Ce sont des héritages différents, mais tous bien vivants dans mon travail. »
Une des parties les plus originales du livre est celle consacrée au Moyen Âge. Pourquoi cette période est-elle si centrale ?
« Parce que c’est là que se joue une grande part de notre ADN institutionnel. Au Moyen Âge, les autonomies locales se consolident, les premiers instruments d’autogouvernement naissent, et la dynastie de Savoie s’impose progressivement. Comprendre ce processus – souvent lu uniquement à travers une clé nationale – c’est aussi comprendre la spécificité de la Vallée d’Aoste : une communauté capable de s’organiser, de se gouverner, de négocier avec le pouvoir central. »
Il y a là un dialogue implicite avec Alessandro Barbero, qui réfléchit au rôle des institutions locales comme incubateurs de citoyenneté. Partages-tu cette vision ?
« Oui, et je le dis en tant qu’historien et citoyen. Les institutions locales ne sont pas seulement de l’administration : ce sont des formes de culture, des mentalités, une école de responsabilité. L’autonomie n’est pas un privilège, c’est une forme de maturité collective. Barbero l’a dit à plusieurs reprises : la démocratie locale est le premier lieu où l’on apprend la politique comme un service. »
Un autre point fort du livre est l’attention portée à l’économie. Un terrain rarement exploré par les historiens valdôtains.
« Malheureusement oui, et c’est un manque que j’ai ressenti. Les sources ne sont pas abondantes, mais j’ai essayé de reconstruire les grandes dynamiques : la montagne n’est pas seulement résistance, elle est aussi innovation, travail, échange. Lire l’histoire de la Vallée aussi sous un angle économique aide à déconstruire de nombreux stéréotypes et à donner toute sa dignité à la peine quotidienne de notre peuple. »
Le livre se termine en 2000, avec la création de l’Université de la Vallée d’Aoste. Une fin symbolique ?
« Très symbolique. L’Université est un point d’arrivée, mais aussi de relance. Elle marque la fin d’un cycle, celui de la Vallée pré-numérique, pré-globale. L’année suivante, avec le 11 septembre, tout change. Nous entrons dans une époque incertaine, que le Pape François a qualifiée de “troisième guerre mondiale par morceaux”. Dans ce désordre, connaître notre histoire devient un acte de résistance et d’espoir. »
Tu as dit que le livre est aussi “un acte politique”. Dans quel sens ?
« Dans le sens le plus noble et le plus vrai. Écrire l’histoire de sa communauté, lui rendre sa voix et sa mémoire, est un geste politique. Cela signifie affirmer que nous comptons, que nous avons quelque chose à dire au monde. Il ne s’agit pas de revendiquer, mais d’exister avec dignité. Et de transmettre cette conscience aux nouvelles générations. »
Si tu devais dire une seule chose aux jeunes valdôtains après la lecture de ton livre ?
« Que l’autonomie n’est pas une conquête du passé, mais un défi du présent. Et que chaque génération a le devoir de la réinventer, de la comprendre, de la préserver. Connaître l’histoire, c’est le premier pas pour ne pas la trahir. »
Des projets futurs ?
« Peut-être un approfondissement sur le rapport entre la Vallée et les grandes crises du XXe siècle. Mais d’abord, j’espère que ce livre trouvera ses lecteurs. Et peut-être suscitera des débats. C’est la meilleure manière de la faire vivre, notre histoire. »
Merci