L'INTOUCHABLE EST TOUCHÉ ET LIBÉRÉ.
VI D.T.O, B.
L'Évangile de ce dimanche met au centre de l'attention un phénomène épouvantable, horrible qui porte le nom de lèpre. Vient à Jésus un lépreux qui crie:" Si tu le veux, tu peux me purifier". Cet homme dans sa grande misère n'impose pas, mais supplie. Ce cri est un acte de foi, une prière authentique qui vient du fond du coeur. Le lépreux, cet intouchable qui pue, représente tout homme qui met son espoir dans Dieu seul, quand tous les moyens humains ont échoué. Qui est le lépreux de notre temps qui crie? Quelle est la nature de cette lèpre? Quelles sont les nouvelles structures qui isolent le mésaventuré? Quelle est la condition pour notre purification?
1. SI TU LE VEUX, TU PEUX ME PURIFIER.
Le philosophe Danois Søren Kierkegaard (1813-1855) distingue l'angoisse du désespoir. Selon lui, l'angoisse est constructive en tant qu'elle révèle la finitude de l'homme et son ouverture à la grâce divine. L'angoisse est donc costitutive de notre existence. Quant au désespoir, Kierkegaard le considère comme une "maladie mortelle", en tant qu'il porte l'homme à la perte du goût de vivre.
Peut-on dire que le lépreux est désespéré ou angoissé? Ce déshérité de la terre est humilié par sa maladie, mais veut vivre. Sa maladie l'exclut de la communauté, car il est religieusement considéré comme un pécheur puni par Dieu pour ses péchés.
Le livre du Lévitique nous montre l'intransigeance de la loi envers ces personnes atteintes de cette maladie. Selon les lois de cette religion sans coeur, ritualiste, cet homme doit être mis à l'écart de la communauté humaine et contreint à vivre hors du champ. Cela nous rappelle l'isolement que l'humanité a vécu il y a quattre ans à cause du Covid-19. Qui était atteint de cette pandémie était presque considéré comme "Impur" et le médecin devrait prononcer la sentence de son isolement à l'écart, pour ne pas contaminer les autres. On se fuyait comme dans le cas des animaux malades de la peste dans les Fables de la Fontaine où il écrit: "Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés". Ce qui détruit plus le lépreux, ce n'est pas la douleur corporelle en tant que telle, mais l'humiliation qu'il subit. Il doit se dénoncer qu'il est impur partout où il passe. Son mal extrême est surtout sa détresse intérieure, car son amour propre, son honneur, sa dignité, les bases de sa personnalité sont sapées en profondeur. Voilà la racine de son désespoir. Rien de cette terre ne peut le consoler. "Un seul Dieu peut le sauver", un Dieu inconnu, indéterminé, "un Dieu sans l'être" qui fait surprise dans son épiphanie, quand l'homme est croupi dans le chaos. Ce Dieu est présent dans la forme humaine, Jésus Christ notre Sauveur.
2. LA COMPASSION DE JÉSUS.
La guérison opérée par Jésus est toujours précédée par le sentiment de compassion. Le verbe en latin "cum-patire" et en grec -sym-pathein- (sympathie) signifie souffrir ensemble avec celui qui souffre. Jésus porte sur ses épaules nos misères. En Jésus, la miséricorde de Dieu invisible s'est faite visible. Jésus, contrairement à ses contemporains qui fuient, il s'approche du lépreux, le touche, pose sur lui son regard et prononce sa parole performative et créatrice: "je le veux, sois purifié". Aussitôt dit, aussitôt fait. À l'instant même, le lépreux passe de la mort vivante à la vie authentique. Jésus lui donne encore la joie de vivre, l'intègre dans la communauté et peut librement louer le Seigneur dans la synagogue. Cet événement sera gravé dans la mémoire de l'homme guéri par la miséricorde divine faite chair et changera toute son existence.
3. LA JOIE DE LA DIGNITÉ RETROUVÉE.
Jésus guérit, mais ne veut pas être l'objet de la publicité. Il interdit à l'homme guéri de dire quoi que ce soit, sinon que de se montrer au prêtre, d'accomplir la loi de Moise, et sa guérison sera pour les gens un témoignage. Le miracle sera un signe pour la conversion de la communauté et la purification de la religion ritualiste. Cette parole est chargée de sens théologique important. Non seulement Jésus guérit la personne irrécupérable, il lui donne la mission vers le prêtre qui l'a exclu. Le prêtre et la communauté en voyant le lépreux guéri, se rendront compte que les temps messianiques sont arrivés et la religion qui exclut prend sa fin, pour laisser place à la religion de la miséricorde.
Quels sont les lépreux de notre temps? Comment cet Évangile nous interpelle-t-il aujourd'hui à l'heure du net, de l'intelligence artificielle?
La lèpre plus périleuse de notre temps est celle invisible. Soyons attentifs à ceux qui en sont affectés. Cette lèpre intérieure peut être due aux crimes commis, à la culpabilité pour prostitution, à la dépendance de la drogue, aux formes de dépression due au désenchantement du monde qui conduit à la perte du goût de la vie. Aujourd'hui, le désespoir est en train de gagner le terrain dans les coeurs des jeunes qui découvrent que le progrès technologique ne résoud pas les questions profondes de la vie. La peur du lendemain incertain crée des vertice d'affronter les défis du présent.
Que faire?
Que notre agir en faveur des personnes bléssées ne soit pas conditionné par des jugements et des préjugés prématurés.
Apprenons à être des imitateurs de Jésus comme nous le rappelle saint Paul.
4. PRIÈRE POUR LA GRÂCE DE LA COMPASSION ET DE L'ACTION.
Que ces vers de Emily Dickinson (1830-1886) qui font vibrer notre âme soient le programme de notre vie:"Si je pourrais empêcher un coeur d'être rompu, je n'aurais pas vécu en vain. Si je pourrais alléger la douleur d'une vie, ou diminuer une peine, ou aider un passereaux blessé à rentrer dans son nid, je n'aurai pas vécu en vain"(If i can stop one heart from breaking, i shall not live in vain; if i can ease one life the aching, or cool one pain, or help one fainting robin, unto his nest again, i shall not live in vain). Que notre charité soit inventive pour guérir le monde de ses plaies.
Bon dimanche frères et soeurs
Paix et joie dans nos coeurs et dans le monde.
Ton frère Abbé Ferdinand Nindorera