La paternité de l'expression "sacrement du frère" appartient au grand théologien du 20ème siècle, Hans Urs Von Balthasar. Les lieux de la célébration de ce sacrement sont le pardon et la réconciliation. Sachant que pardonner toujours n'est pas à notre portée, Pierre nous représente en posant cette question: combien de fois dois-je pardonner mon frère qui ne cesse de m'offenser ? Écoutons ce que dit le Seigneur Dieu. Ce qu'il veut c'est la paix pour son peuple et ses amis, pourvu qu'ils reviennent à leur folie (cfr. Psaume 84,9).
1. LE PARDON N'A PAS DE LIMITES.
Après l'enseignement sur la manière de gagner un frère perdu dans le pire abîme du péché, le Fils de Dieu nous demande de passer par la porte étroite du pardon. Est-il possible de pardonner toujours sans le secours de la grâce? La réponse est négative. Notre instinct naturel envers celui qui commet de fautes contre nous est la vengeance. Souvent la justification de la violence est la sois-disante autodéfense par l'offense. L'homme de bonne volonté peut pardonner, mais souvent il pose de conditions. Dans beaucoup de cultures, le pardon est le signe de la faiblesse. Pour les français, "une fois passe, deux fois lassent et trois fois cassent". Pour les burundais, une fois suffit (kabiri karazirwa). Les juifs étaient plus sérieux que nous, car ils arrivaient à pardonner jusqu'à sept fois.
Jésus nous demande de dépasser la loi de nature, pour nous ouvrir à la loi de la grâce pour notre bien. Jésus répond à Pierre: "Non 7fois, mais 70fois sept fois". Le pardon fait du bien à celui qui le donne, car l'amour porte en lui-même sa récompense.
Chers frères et soeurs, l'avant goût de l'enfer dans ce monde, est le refus du pardon et la fermeture du coeur contre toute possibilité de la réconciliation. Certaines dépressions appelée "nuit obscure de l'âme", sont des effets du refus d'accorder le pardon qui est une meilleure thérapie de l'âme. Il est impossible de retrouver la sérénité intérieure quand le coeur est pollué par des idées noires d'une rumination négative de nuisance.
Le pardon n'est pas l'oubli, car le mal subi a une force objective de destruction. Le pardon est une grâce qui nous permet de transcender l'instinct de violence par la force de l'amour en vue de célébrer le sacrement du frère perdu et retrouvé.
2. SANS LA COMPASSION, PAS DE PARDON.
Jésus est vérité qui illumine, la miséricorde du Père faite chair "pour notre salut". La justice unie avec la compassion engendre le pardon qui dépasse la justice commutative. Le signe du pardon de Dieu sans mesure est la remise de la dette énorme de dix mille talents qui équivalent à soixante millions de pièces d'argent. En le voyant se prosterner la face contre terre, le maître, saisi de compassion, laisse partir son serviteur.
Certains peuvent penser que le pardon est la loi des faibles ou la loi des esclaves d'après Friedrich Nietzsche. Au contraire, la force du pardon est la vraie puissance de la volonté, la puissance de l'amour, la vraie enfance spirituelle qui désarme les armées. La volonté de puissance (Willenskraft) de Nietzsche, cette volonté écrasante, humiliante, arrogante du surhomme (Übermensch) se transforme en une puissance de la volonté d'aimer, d'accueillir celui qui ne mérite pas notre égard et notre attention. Sans le pardon et la réconciliation, le monde serait un immense cimetière, dans la mesure où nous retournerions dans la loi de la jungle où l'homme devient "un loup pour l'homme" selon Thomas Hobbes (homo homini lupus) et les guerres seraient sans fin car tous seraient contre tous (omnia bellum contra omnes).
3. LA RÉVOLUTION DU CHRIST.
La loi des lévitiques autorisait de se venger jusqu'à la quatrième génération. La loi du talion établissait un jugement équitable des crimes commis volontairement. Selon Platon, qui commettait volontairement un homicide devait subir la peine de mort pour purifier la cité de son ignominie"(Platon, Les lois, IX,873B).
Jésus contre l'homicide, dépasse la loi du talion en proclamant:"Vous avez entendu qu'il a été dit:oeil pour oeil, dent pour dent. Et moi je vous dis: aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent". Jésus ne nous enseigne pas la lâcheté, mais la force de l'amour plus fort que la mort. Il n'est pas donné à l'homme de se faire justice, Dieu est le seul juge juste qui rend à chacun ce qu'il mérite. Dans la première lecture, Dieu condamne toute forme de rancune, de colère et de vengeance. En pardonnant les torts subits, Dieu accorde son pardon pour ses péchés. Saint Paul dit que même quand on a la conscience tranquille, l'homme n'est pas justifié pour autant: "mon juge c'est le Seigneur"(cfr.1co.4,1-5).
La raison fondamentale du pardon selon saint Paul est notre appartenance au Seigneur et notre interdépendance liée à notre condition d'insuffisance. Saint Paul le dit clairement: "Aucun d'entre nous ne vit pour soi-même, et aucun ne meurt pour soi-même".
Sans le pardon nous nous excluons de la cité de Dieu. Dans ton agir, "pense donc à ton sort final et renonce à toute haine". "Memento mori"( souviens-toi que tu es mortel). Jésus conclut la parabole du débiteur impitoyable avec ces paroles qui orientent notre vie présente: "C'est ainsi que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du coeur".
4. PRIÈRE POUR LE PARDON SANS CONDITION.
Seigneur, toi qui pardonne la femme adultère qui selon la justice humaine devrait subir la peine de lapidation, prends pitié de nous.
Seigneur Jésus dont le regard de miséricorde et de compassion guérit la culpabilité de Zachée, fais-nous revenir et sauve-nous.
Seigneur Jésus, ton pardon est sans culcul quand ton dernier soupir sur la croix est le pardon à l'humanité qui te crucifie.
Guéris-nous de nos maladies de rigidité d'intransigence et de violence. Ne nous traite pas selon nos offenses. Que ton amour soit sur nous, comme notre espoir est en toi. Amen.
Bon dimanche frères et soeurs.
Paix et joie dans nos coeurs et dans le monde.
Ton frère Abbé Ferdinand Nindorera