1. Le désespoir du lépreux.
Le philosophe Danois Søren Kierkegaard (1813-1855) distingue l'angoisse du désespoir. Selon lui, l'angoisse est constructive en tant qu'elle révèle la finitude de l'homme et son ouverture à la grâce divine. L'angoisse est donc costitutive de l'existence. Quant au désespoir, Kierkegaard le considère comme une "maladie mortelle", en tant que perte du sens de la vie. C'est le cas du lépreux que la parole d'aujourd'hui nous présente.
Le livre des lévitiques nous montre l'intransigeance de la loi envers les personnes atteintes de la lèpre. Selon les lois de cette religion sans coeur, ritualiste, cet homme doit être exclu de la communauté des humains. Ce qui détruit plus le lépreux, ce n'est pas la douleur corporelle en tant que telle, mais l'humiliation qu'il subit. Il doit se dénoncer qu'il est impur partout où il passe, en portant dans son visage une masque de honte. Son mal extrême est surtout sa détresse intérieure, car son amour propre, son honneur, sa dignité, les bases de sa personnalité sont sapées en profondeur. Voilà la racine de son désespoir. Rien de cette terre ne peut le consoler. "Un seul Dieu peut le sauver", un Dieu inconnu, indéterminé, "un Dieu sans l'être" qui fait surprise dans son épiphanie quand il veut en touchant l'homme croupi dans le chaos de la misère. Ce Dieu est Jésus Christ notre Sauveur qui porte sur ses épaules le pesanteur et la puanteur de nos péchés.
2. La compassion de Jésus.
La guérison opérée par Jésus est toujours précédée par le sentiment de compassion. Le verbe "cum-patire" signifie souffrir ensemble avec celui qui souffre. En Jésus Christ, la miséricorde de Dieu invisible s'est faite visible. Par rapport à ses contemporains qui fuient, il s'approche du lépreux, le touche, pose sur lui son regard et prononce sa parole performative et créatrice: "je le veux, sois purifié". Aussitôt dit, aussitôt fait. À l'instant même, le lépreux passe de la mort vivante à la vie. Jésus lui donne encore la joie de vivre, l'intègre dans la communauté des frères et peut librement louer le Seigneur dans la synagogue. Cet événement sera gravé dans sa mémoire et va constituer le programme de sa vie future. Le sérieux de son être renouvellé, la fidélité à la parole de Jésus et le témoignage seront les phares de son existence.
3. La liberté et la dignité retrouvée.
Il est intéressant de porter l'attention sur la conclusion de cet épisode de guérison. Jésus touche le lépreux, ce dernier recouvre la santé. Cependant il lui interdit de dire quoi que ce soit, sinon que de se montrer au prêtre, d'accomplir la loi de Moise, et sa guérison sera pour les gens un témoignage. Cette parole est chargée de sens théologique important. Non seulement Jésus guérit la personne irrécupérable, il lui donne la mission vers le prêtre qui l'a exclu, en accomplissant la loi de Moise. Le prêtre et la communauté en voyant le lépreux guéri se rendront compte que les temps messianiques sont arrivés, afin qu'ils passent de la religion statique, fermée, ritualiste à la religion de la miséricorde.
4. Les lépreux de notre temps et notre mission.
Quels sont les lépreux d'aujourd'hui? Comment cet évangile nous interpelle à guérir le monde de sa lèpre aux multiples vivisages?
4.1 Apprenons à être des imitateurs de Jésus comme nous le rappelle saint Paul.
4.2 Que notre agir en faveur des personnes bléssées ne soit pas conditionné par des jugements et préjugés.
4.3 La lèpre plus périleuse et purulente de notre temps est celle invisible. Soyons attentifs à ceux qui en sont affectés. Cette lèpre intérieure peut être due aux crimes commis, à la culpabilité de la prostitition, à la dépendance de la drogue, à la dépression due au covid, aux conséquences de la liberté illimitée sans Dieu, au désenchantement du monde qui conduit à la perte du goût de la vie.
4.4 Que ces vers de Emily Dickinson (1830-1886) qui font vibrer notre âme soient le programme de notre vie:"Si je pourrais empêcher un coeur d'être rompu, je n'aurais pas vécu en vain. Si je pourrais alléger la douleur d'une vie ou diminuer une peine, ou aider un passereaux blessé à regagner son nid, je n'aurai pas vécu en vain"(If i can stop one heart from breaking, i shall not live in vain; if i can ease one life the aching, or cool one pain, or help one fainting robin unto his nest again, i shall not live a vain).
Que notre charité soit inventive pour guérir le monde de ses plaies.
Paix et joie dans le Seigneur.
Bon dimanche frères et soeurs.
Ton frère Abbé Ferdinand Nindorera





